Le Quatuor Molinari présente le compositeur R. Murray Schafer après l’interprétation de son quatuor « Alzheimer’s Masterpiece ». (crédit photo: Magalie Dagenais/2016)

 

Nous avons demandé à plusieurs personnes des cinq CMC régionaux de nous faire part de leurs pensées et de leurs réflexions sur l’influence de R. Murray Schafer. Affectueusement connu de ses proches sous le nom de Notre Murry Schafer, Murray a eu un impact sur le CMC, son personnel et ses conseils d’administration au fil de plusieurs décennies, et sur toutes les communautés qu’il a servies tout au long de sa carrière.

 

Lorsqu’il était étudiant, Murray a travaillé à la bibliothèque du CMC. Lors de mes études à la faculté de musique de l’Université de Toronto, je me suis joint aux milliers de personnes qui ont effectué le voyage tôt le matin dans l’obscurité jusqu’à Heart Lake, juste au nord de Toronto, pour la première de son opéra Princess of the Stars, présenté par New Music Concerts. Je ne savais pas que j’assistais au prologue de son immense travail sur Patria, qui allait devenir l’une des plus grandes compositions d’un compositeur canadien, donnant lieu à 12 œuvres qui lui prirent 40 ans à achever. The Princess of the Stars commence une heure avant l’aube et présente des canoéistes qui promènent en pagayant les artistes autour du lac dans un ballet de canoë élaboré. Étant un canoéiste passionné, j’étais très intéressé par cette nouvelle approche et d’ailleurs, plusieurs de mes amis faisaient partie des pagayeurs.

Un peu plus tard au cours de ma carrière, alors que j’étais directeur général du Ottawa Chamberfest, nous avons accueilli une performance du St. Lawrence String Quartet, grand défenseur des œuvres de Murray. Ils ont interprété son troisième quatuor à cordes, qui était aussi choquant que fantastique. Murray était présent et, la veille, il avait emmené des clients faire une visite à pied de la ville au cours de laquelle il leur avait appris à écouter les sons qui l’inspiraient et l’intriguaient, et qui formaient la base d’une grande partie de son travail.

Lorsque je suis devenu directeur général du CMC en 2014, j’ai eu le privilège d’apprendre à connaître Murray et sa partenaire Eleanor. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises et j’ai eu le plaisir absolu de leur rendre visite dans leur ferme bien-aimée, juste à l’est de Toronto. Ces visites m’ont permis de voir les opérations d’Arcana Publishing, consacrée exclusivement aux œuvres de Murray, et de ressentir l’esprit et la beauté de cet environnement.

Un temps fort de mon expérience au CMC a été la performance 2015 d’Apocalypsis, présentée par Luminato au Sony Centre de Toronto. 1 000 artistes ont été impliqués. Ce fut tout simplement spectaculaire. Murray était là et a reçu une énorme ovation lorsqu’il est monté sur scène à la fin. Je me considère chanceux d’avoir été présent parce que ce ne fut que la deuxième représentation de l’œuvre, et la probabilité de la voir montée à nouveau est vraiment mince. Une fois les représentations terminées, j’ai été ravi lorsque Caroline Hollway, directrice de production pour Luminato m’a appelé pour me demander si nous aimerions avoir tous leurs fichiers de production dans nos archives. J’ai tout de suite répondu oui. Donc, si jamais une personne cherche à monter de nouveau cette oeuvre, ces fichiers pourront constituer une ressource utile.

Cela a été un grand privilège pour moi d’avoir connu Murray. Je présente mes plus sincères condoléances à Eleanor.

Glenn Hodgins, Président et chef de la direction, CMC Canada

 

De gauche à droite : le compositeur R. Murray Schafer, sa femme Eleanor et Olga Ranzenhofer du Quatuor Molinari. (crédit photo: Magalie Dagenais/2016)

 

En 1981, lorsque je suis arrivé au CMC, de nombreux « conseillers » bien intentionnés m’ont offert des conseils sur la manière de composer avec les compositrices et compositeurs agréés. En ce qui concerne Murray Schafer, le premier conseil que j’ai reçu a été qu’en général, il était difficile!

Tous ces premiers conseils ont été utiles, excepté pour une personne notable – Murray Schafer, que j’ai trouvé coopératif, humblement timide, sensible à mes luttes pour atteindre les objectifs du CMC, et toujours prêt à m’apporter du soutien dans toutes les choses que je lui demandais. Ces qualités affichées sont restées les mêmes pendant les quarante années suivantes à travers tous mes autres rôles et projets. Les moments dont je me souviens tout particulièrement?

1983, RA, du cycle Patria, au Centre des sciences de l’Ontario, lorsque Murray nous a fait passer à nous, l’assistance, la nuit dans le cadre de l’apparat, pour finalement être réveillés par Maureen Forrester chantant l’aria Amente-Nufe, avec, je crois, John Wyre, aux percussions… 15 minutes des sons les plus émouvants que j’aie jamais écoutés.

1985, et les cérémonies d’ouverture de Chalmers House, au cours desquelles cinq musiciens de cuivres ont débarqué de différentes parties du centre-ville de Toronto, jouant individuellement la musique situationnelle de Murray, culminant dans une fanfare d’ensemble, pour finalement célébrer l’ouverture d’une maison nationale dédiée aux compositrices et compositeurs agréés du CMC.

1987, lorsque le premier prix Glenn Gould a été décerné… et à un Canadien pour couronner le tout. Trois ans plus tard, Sir Yehudi Menuhin m’a révélé en privé qu’il y avait eu une certaine réticence dans le jury à l’idée qu’un Canadien soit le premier lauréat. En tant que président de ce jury international, il avait alors déclaré avec force que Murray était un digne lauréat de renommée internationale et que les Canadiens ne devraient pas hésiter à acclamer l’un des leurs. Il avait vu juste!

1989, lorsque Stanley Witkin, ancien président du CMC, a voulu avoir un cadeau unique pour célébrer l’anniversaire de sa femme et que je lui ai suggéré d’en parler avec son ami d’enfance; Murray a accepté la commande de Stan pour un cinquième quatuor à cordes et l’a intitulé The Rosalind.

2001 – 2018, au Stratford Summer Music durant lequel Murray a dirigé Music for Wilderness Lake à trois reprises le long de la rivière Avon, où nous avons célébré son 80e anniversaire avec un grand concert de ses amis musiciens, et où souvent ses œuvres chorales ont été chantées par le Vancouver Chamber Choir, même par des choristes amateurs locaux qui ont reconnu que donner vie à ces partitions artistiques de Schafer avait été le point culminant de leur parcours de vie musicale.

Il y a une chose dont je suis absolument certain. La créativité de Murray s’épanouira longtemps après que nous ayons toutes et tous fait nos adieux à cette planète. En fait, je crois que l’avenir est plus prometteur à présent pour la musique de Murray qu’il ne l’a été durant ses propres 88 années de vie. Mais maintenant, où se trouve donc la ou le jeune producteur dynamique qui osera offrir au monde le cycle complet de PATRIA ?

John A. Miller, Directeur général du CMC, 1981-1986

 

Emily Doolittle, R. Murray Schafer, font du canoë lors de l’événement Music For Wilderness Lake au Scotia Festival (Camp Kidston) en 1993

Je ne serais absolument pas la personne que je suis sans R. Murray Schafer, et je pense qu’il en va de même pour de nombreuses musiciennes et de nombreux musiciens canadiens. Ma propre histoire avec Schafer a commencé lorsque j’ai entendu Third String Quartet au Scotia Festival en 1989 : j’ai alors su que je devais devenir musicienne, et j’ai parlé avec d’autres personnes qui ont trouvé cette performance tout aussi transformatrice. À peu près à la même époque, nous avons chanté Epitaph for Moonlight avec le Halifax High Schools Choir. Nous avons été fascinés par la beauté musicale et visuelle des partitions graphiques de Schafer : mais plus encore, en réalisant qu’il s’agissait d’un compositeur qui valorisait la musique créée par des enfants tout autant que celle créée par des professionnels. Cela nous a permis de prendre notre propre musique plus au sérieux. J’ai assisté à l’événement de nuit Music for Wilderness Lake de Schafer au Camp Kidston en 1993 et ​​j’ai vécu, avec des centaines d’autres intrépides Néo-Écossaises et Néo-Écossais, la magie de la musique créée en collaboration avec le crépuscule et l’aube, les lacs et les cieux, les animaux sauvages et la communauté humaine. Mais le lien le plus profond que j’ai avec Schafer correspond aux 11 années où j’ai fait partie de son drame musical-rituel collaboratif d’une semaine, And Wolf Shall Inherit the Moon, qui se tient (encore) chaque été dans la nature ontarienne, avec des participantes et des participants originaires de tout le Canada, d’Europe et d’Amérique du Sud. J’ai appris tellement de choses grâce à Wolf sur le pouvoir incroyable de pouvoir créer de l’art pour et avec un environnement particulier, et pour et avec une communauté où les contributions de chacune et de chacun sont valorisées de la même manière. Le Wolf Project n’était pas parfait : en particulier, il y a eu des problèmes d’appropriation culturelle problématique qui ont mis de nombreuses personnes mal à l’aise, même si, ces dernières années, Schafer et les participants ont travaillé dur pour y remédier. En effet, la leçon la plus puissante que j’ai peut-être apprise grâce à Wolf est que l’art n’a pas besoin d’être parfait pour être incroyable : ce qui compte, c’est d’écouter, de prendre soin de la communauté, de surmonter les moments difficiles et de toujours rester ouvert à de nouvelles possibilités. C’est là que nous trouvons une vraie force et une beauté inattendue.

Emily Doolittle, compositrice agréée du CMC

(au nom du CMC Région de l’Atlantique)

 

Il est difficile d’apprécier les multiples impacts créés par la présence et le processus de Murray – il s’est présenté comme une figure provocatrice, et parfois espiègle, dans notre paysage commun. Il a donné au domaine des études sonores une mine de matériaux et de méthodologies à appliquer, à contester et à étendre, particulièrement maintenant que nos pratiques évoluent pour englober bon nombre des perspectives analytiques négligées dans les premiers jours du World Soundscape Project. Ces délibérations sur son travail se poursuivront ici au Canada et parmi les communautés d’éducateurs, d’écologistes, d’acousticiens et d’autres à travers le monde. Sans aucun doute, le diagramme de Venn de la portée conceptuelle et artistique de Murray est à la fois intrigant et unique.

Matthew Fava, Directeur, CMC Ontario

 

Le grand compositeur canadien R. Murray Schafer nous a fait l’honneur de venir à Montréal pour la soirée bénéfice du Centre de musique canadienne au Québec qui a eu lieu en 2016. Une œuvre intitulée « Alzheimer’s Masterpiece » fut créée par le Quatuor Molinari à cette occasion, en présence du compositeur.

Sa musique et ces livres illustrés sont d’une grande beauté. La maladie aura eu raison de lui… Une grande perte pour la musique contemporaine canadienne.

Claire Marchand, Directrice, CMC Québec

 

J’ai plusieurs bons souvenirs de Murray Schafer. Il est venu donner une présentation dans notre bureau à la fin des années 80 au moment où ses archives étaient conservées à l’Université de Calgary. J’ai entendu sa symphonie au Carnegie Hall avec l’Orchestre symphonique de Winnipeg. J’ai entendu les 12 trombones de Wilderness Lake interprétées à Saskatoon au bord de la rivière et j’ai eu la chance de passer un peu de temps avec lui lors d’une collecte de fonds du CMC Québec il y a quelques années.

Mon plus grand souvenir, cependant, a peut-être été d’entendre Patria IV: The Black Theatre of Hermes Trismégistos, le 9 juin 1992 au Great Hall à Union Station, à Toronto, en Ontario, avec Michael J. Baker en chef d’orchestre. Dû à l’utilisation quotidienne des transports en commun, le spectacle n’a commencé qu’à minuit. J’avais été intelligent – j’avais fait une sieste dans l’après-midi, et contrairement à beaucoup, j’ai pu rester éveillé pendant tout le spectacle. Des corps peints, des costumes élaborés, des chanteuses et des chanteurs descendant du toit sur des cordes, une musique merveilleuse. Wow! Inoubliable!

John Reid, Directeur, CMC Prairies

 

(crédit photo: André Leduc)

Je n’oublierai jamais la fois où j’ai entendu l’Orchestre national des jeunes interpréter North / White de R. Murray Schafer lors de sa première à Vancouver en 1973. Ce fut une période charnière dans le développement de Schafer, résultant de sa décennie passée ici à Vancouver, où il a à la fois transformé et déconcerté le monde de la composition en lançant le Vancouver Soundscape and World Soundscape Project.

North / White est une pièce musicale ampoulée, cacophonique et totalement bouleversante. Elle était différente de tout ce que j’avais jamais entendu, avec des forces orchestrales massives, une motoneige, une tronçonneuse et une planche wah-wah – un morceau d’étain géant plié de façon rythmique pour évoquer le pompage incessant d’un derrick de pétrole.

Cette musique était pareille à un rugissement! Pourtant, elle était aussi lyriquement étrange et incroyablement belle. Avant même la fondation de Greenpeace, Schafer a essayé de réveiller le monde sur la beauté exquise et fragile de l’Arctique vierge du Canada, et au sujet du danger auquel celui-ci faisait face en raison de l’industrialisation et du pétrole. Si seulement nous avions écouté…

Sean Bickerton, Directeur, CMC C.-B.

 

Apprenez-en plus sur R. Murray Schafer et regardez ses œuvres dans la bibliothèque du CMC ou dans la boutique du CMC.